Tafari (sur le catamaran Fou de Bassan) et Makonen (sur le catamaran Mamaco) ont été des marins Ethiopiens. Deux jeunes hommes d’une grande gentillesse, courageux, très respectueux, plein d’humour, parlant un excellent français. Pour survivre à la guerre en Ethiopie, ils étaient venu à Djibouti sans famille afin d’y trouver, en tant qu’immigrés, du travail. Les autorités de Djibouti les contrôlent beaucoup et leur font passer de très mauvais moments en prison s’ils sont pris en ville. leur faisant faire des servitudes à genoux sur des cailloux). A bord, avec nous, ils mangeaient, vivaient agréablement et étaient payés.

Tafari                                                          Makonen

Anecdote : Après la guerre civile à Djibout 1991-1994, nous avons repris les croisières vers les 7 Frères. Lors d’un départ d’Obock , très tôt le matin, avec nos plongeurs arrivés de Paris la veille au soir, Tafari et le skipper avaient mis à l’eau les lignes de pêche (moulinets 9/0 pour les gros poissons, donc très gros hameçons, bas de ligne en acier). Soudain, le skipper m’appella d’urgence car Tafari venait de remonter un énorme thazard (environ 1,50 m) ; le regard du skipper m’indiqua alors ce qui venait d’arriver. je me dirigeais vers le marin placé sur une jupe arrière du catamaran tenant d’une main la canne à pêche et de l’autre l’énorme tête du poisson. Malheureusement, un des triples hameçons avait, lui, transpercé un doigt de Tafari. Je pris, alors, un grand couteau de cuisine afin de séparer la tête du thazard de son corps plein de vie. Je coupais le bas de ligne en acier, puis aidait Tafari à remonter dans le carré arrière du bateau accompagné de la tête du thazard dans ses mains. Le catamaran lancé dans une mer formée fut ordonné de ralentir. La décision fut prise de couper l’hameçon au plus près du doigt du marin à l’aide d’une tenaille puis d’une lime. Impossible à réaliser car à chaque mouvement de vague, Tafari, devenu vert souffrait terriblement. Nous décidions, donc, de réveiller les passagers, de les avertir que nous devions revenir à Obock pour y trouver un médecin. En navigation, je préparais le petit-déjeuner des passagers. Obock où il était encore interdit de pénétrer car les hommes de la force militaire djiboutienne Issas y étaient implantés pour arrêter les Afars. Nous avons, alors, mouillé (jeté l’ancre) sur le platier d’Obock. Le zodiac, mis à l’eau, nous descendîmes le skipper, le marin et moi afin de trouver de l’aide (sans la tête du poisson mais avec le leurre Rapala entier). Dès l’arrivée sur la plage d’Obock (là vous a vécu Henry de Monfreid) des militaires en armes nous accueillirent en nous interdisant d’aller plus loin. J’expliquais la situation en montrant la main de notre marin et escortés nous nous rendîmes vers un petit bâtiment bas appelé  » clinique  » criblé de balles… Avant de pénétrer dans le bâtiment, un soldat d’une ethnie réfractaire à la vue d’un Ethiopien se permit de lui tordre la main dans tous les sens pour bien le faire souffrir et je dû m’interposer en demandant le médecin. Le médecin africain nous accueillit bien. Mais à part la table d’intervention  » nue  » les étagères l’étaient aussi. J’avais emporté avec moi, seringue, aiguilles, morphine, désinfectant et pansements,etc. mais il refusa car après examen, il nous dit que les doigts sont très inervés et qu’il fallait une bonne anesthésie et un spécialiste. Je demandais, donc, que l’on appelle un médecin de la force militaire française présente à quelques kilomètres qui vint, confirma et nous dit de retourner à Djibouti. Ce que nous fîmes en quatre heures de navigation. J’allongeais alors Tafari dans le carré intérieur au chaud avec de la glace autour de la main et les écouteurs d’un walkman sur les oreilles pour le retour. A l’arrivée, le skipper s’occupa des passagers et j’emmenais immédiatement Tafari en taxi à l’hôpital principal de Djibouti. Je peux dire qu’en France, nous avons de la chance d’avoir un service de santé sérieux. A Djibouti, les repas et l’eau ne sont pas fournis sauf par les familles. Il n’y a aucune climatisation dans les chambres avec des températures de 40° etc… Je rencontrais dans un couloir de l’hôpital un chirurgien américain qui me confirma vouloir s’occuper de Tafari. Un Djiboutien nous mis dans un bureau et fit asseoir Tafari sur une chaise, la main sur un bureau. Le chirurgien trouva enfin une cisaille, puis un bol pour y mettre un désinfectant puis anesthésia plusieurs fois le doigt de Tafari afin d’extraire l’hameçon. Le chirurgien me demanda de trouver un infirmier pour panser la plaie. Je déambulais alors dans les couloirs découvrant des chats mangeant ce qu’ils trouvaient… un autre chirurgien qui se lamentait adossé à un mur, disant qu’il ne pouvait pas finir le curetage de la femme allongée que j’apercevais sur une table d’opération car il n’avait pas ce qu’il lui fallait en pansements … ! et enfin la « pharmacie » jonchée d’ampoules de verre cassé et de saletés…  « le panseur vint faire son travail et après environ trois heures chargée de douleurs, de  chaleur et d’odeurs, j’emmenais Tafari et ses antibiotiques chez des amis français pour qu’il prenne huit jours de repos afin de ne risquer aucune infection. Son doigt fut sauvé. Je repartis le lendemain en croisière avec les plongeurs qui ont compris la situation et que je remercie.

En 1997, un autre contrat maritime m’envoyait en Martinique et le skipper et moi donnèrent de l’argent, des cadeaux à Tafari afin qu’il se rende en Ethiopie voir sa mère qu’il n’avait pas vu depuis des années. Afin qu’il obtienne un visa de retour, je dû me battre au service administratif et demander le Chef de la Police pour expliquer le cas de Tafari. Après de longs palabres, je parvins à obtenir le visa que tout le service lui refusait. Nous nous quittions tous les trois avec beaucoup de larmes dans les yeux et lui souhaitions pleins de bonnes choses dans sa vie. Il partit mais environ une semaine après il fut de retour car sa mère était morte la veille de son arrivée en Ethiopie. J’ai appris que Tafari était décédé du sida en 2004 à Djibouti car c’est un sujet que nous n’abordions pas puisqu’il ne parlait pas trop de sa vie privée… à terre. et j’en suis bien triste. Makonen, je l’espère être toujours à Djibouti. Il était aussi une belle personnne.

Leurre Rapala

Thazard